Joel Sternfeld: En tant qu'artiste, votre job est de tuer le père (As an artist your job is to kill the father)
(Original Version) Grands formats à Paris Photo, inédits à la galerie Xippas, édition augmentée chez Steidl : la série American Prospects fascine par son panorama en couleur des Etats-Unis dans les années 70 et 80. Pour Libération, le photographe évoque la genèse d’un travail au long cours caractérisé par ses prises de vues en surplomb.
En 1987, paraissait pour la première fois American Prospects, somptueux livre du photographe américain Joel Sternfeld. Plusieurs fois réédité depuis, cet ouvrage monument inaugure une nouvelle vision de l'Amérique, mêlant portraits mystérieux et paysages captivants où des personnages lilliputiens s'inscrivent dans de larges panoramas. A la charnière des années 70 et 80, l'enthousiaste Joel Sternfeld brosse le tableau d'un pays moderne - entre banlieues pavillonnaires, conquête spatiale et civilisation automobile - où la relation de l'homme à la nature se grippe. Son appareil grand format (une chambre 20 × 25), capte des baleines échouées sur la plage, un glissement de terrain à la suite d'une crue éclair ou un éléphant épuisé au milieu d'une route : un dérèglement qui frise le fantastique.
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Sa photo la plus célèbre - un champ de citrouilles devant une maison en feu - résume son approche subtile, pleine de mélancolie et d'humour. Inspiré par la tradition littéraire américaine des grands espaces, Sternfeld impose un style entre réel et fiction, absurde et tragique, et ouvre la voie à des photographes comme Gregory Crewdson. Alors que les éditions Steidl s'apprêtent à publier une nouvelle version d'American Prospects, que plusieurs tirages seront montrés à Paris Photo dans le secteur Prisme réservé aux grands formats, la galerie Xippas expose une sélection de photos inédites de ce corpus de jeunesse (1). De passage à Paris pour l'ouverture de l'expo American Prospects Now, Joel Sternfeld a accepté de raconter à Libération l'état d'esprit dans lequel il était à l'époque et ce qui a fait la singularité de son regard. A 75 ans, très coquet, le photographe ne livrera pas le secret de sa légendaire chevelure bouclée mais, encore enseignant au Sarah Lawrence College dans l'Etat de New York, il se raconte avec l'assurance du professeur habitué à tenir en haleine ses étudiants.
Je détestais la photographie
Jeune, j'ai d'abord commencé par la peinture, puis j'ai rencontré une très belle femme, qui est devenue une grande poète, elle m'a conseillé : "Pourquoi tu n'utiliserais pas un appareil photo ?" Mais moi, je détestais la photographie ! Je pensais que tous les photographes étaient des idiots : il y avait tant de belles choses à voir dans le monde, et ceux-là passaient leur temps à jouer avec leurs objectifs… Je voulais être pur et transmettre mes émotions. Et puis finalement, je suis devenu un de ces idiots avec un appareil photo. Il a fallu que je choisisse entre les films couleur et le noir et blanc. J'ai alors photographié la même scène, en noir et blanc et en couleur, juste pour voir la différence. Et j'ai décidé de garder la couleur pour pouvoir rendre compte des saisons. Personne n'utilisait les films couleur à l'époque, c'était très risqué, un vrai suicide, juste bon pour les photographes commerciaux. Même le galeriste d'Helen Levitt m'a demandé : "Pourquoi utilisez-vous la couleur ? Le noir et blanc est si naturel !" En fait, je n'ai pas eu le choix. Il fallait absolument que je travaille en couleur. Au début, je m'entraînais pour voir comment les couleurs interagissaient entre elles, j'ai beaucoup été influencé par Josef Albers et aussi par Paul Klee. Tout le monde avait lu le livre l'Interaction des couleurs de Josef Albers, surtout les peintres. J'ai commencé à faire des photos avec ces idées-là.
La perte de mes deux frères
En 1975, pendant l'hiver, on m'a découvert une tumeur bénigne à la colonne vertébrale et je devais me faire opérer. Si l'opération échouait, j'allais être paralysé. J'ai demandé à mon docteur d'avoir un dernier bel été avant l'opération. Puis j'ai appris que mon frère était mort dans un accident de voiture. A 30 ans, j'avais déjà perdu deux frères. Je suis sorti faire des photos sur la plage, je pleurais, c'était une très triste période de ma vie. Rien ne me terrifie plus que les immenses immeubles le long des plages, et j'ai fait une photo de la plage de Rockaway dans le Queens à ce moment-là. Puis on m'a opéré, j'ai posé ma candidature pour la bourse du Guggenheim, Helen Levitt m'a aidé et je me suis demandé quelle photo était la plus importante à mes yeux. Et c'est cette photo aux tons pastel, faite sur la rivage à ce moment douloureux de ma vie, qui m'a paru la plus importante. Les couleurs tendres d'une densité égale comme dans un tableau de Paul Klee, l'absence de couleurs primaires, cela a été mon cadre de travail, mon guide, pour American Prospects.
L'œuvre du jeune homme qu'on n'est plus
Quand on devient vieux, c'est comme si on se penchait sur l'œuvre de quelqu'un d'autre, sur l'œuvre du jeune homme qu'on n'est plus. Ce n'est pas seulement l'ego qui parle. La première édition d'American Prospects date de 1987, le livre était plus petit qu'aujourd'hui et nous l'avons publié parallèlement à une grosse exposition au musée des Beaux-Arts de Houston. J'ai montré ces photos dès le début des années 80, notamment en 1984 lors d'une expo au MoMA qui rouvrait après des travaux pour une nouvelle extension. Susan Kismaric, curatrice au département de photographie, avait monté Three Americans», un show avec Robert Adams, Jim Goldberg et moi-même. Chacun de nous a eu une belle carrière ensuite. A l'époque, je ne connaissais pas Jim Goldberg, j'avais très peu parlé avec lui au vernissage. Aujourd'hui, étrangement, c'est un de mes meilleurs amis, c'est comme s'il y avait eu un signe du destin avec cette expo au MoMA. Ensuite, cela a pris trois ans pour qu'on fasse le livre. Aperture était alors le meilleur éditeur, je voulais vraiment faire ce livre avec eux, mais au bout d'un an de réflexion, ils ont refusé de le faire. Finalement, Times Books l'a publié en association avec le musée des Beaux-Arts de Houston pour accompagner l'expo qui allait voyager à Baltimore, à Detroit… La photo de couverture était différente, on avait choisi l'image avec les citrouilles qui est devenue si célèbre. Souvent, on ne vient m'écouter en conférence que pour cette photo de citrouilles.
Un tableau de Brueghel dans mon cerveau
J'ai malheureusement distribué des centaines d'exemplaires de la première édition d'American Prospects, pour Noël par exemple, au facteur qui passait par là, à mes étudiants qui avaient fait du bon boulot… Aujourd'hui, je prends soin de mes livres car j'ai un fils de 10 ans, et j'ai si peur pour lui. Mon père était un artiste, il avait quatre fils et devait entretenir sa famille. Il n'a rien gardé de son travail manuel. Graphiste, il faisait des affiches de films pour la Fox, puis il a monté son propre studio. Il a réalisé les affiches pour tous les péplums et grands films des années 50 et 60, comme la Tunique, Ben Hur, Spartacus… Il considérait cela comme un travail commercial alors qu'il aimait tant les beaux-arts.
Avec mes frères, on avait une salle de jeu au sous-sol de la maison dans laquelle était accrochée une reproduction d'un tableau de Brueghel. J'ai grandi avec les Chasseurs dans la neige imprimé dans mon cerveau. Quand j'ai commencé à faire les photos d'American Prospects, je pensais tout le temps au tableau de Brueghel, avec ces personnages qui regardent depuis le haut d'une colline. Cela m'a donné des visions. Avant même de prendre la route, je savais déjà que je voulais être en surplomb, m'élever un peu par rapport à ce que je voyais.
Tuer le père Walker Evans
Si j’ai voulu prendre de la hauteur, c’est pour deux raisons. D’abord, parce qu’en tant qu’artiste, votre job est de tuer le père. Et le père, pour moi, était Walker Evans. On m’avait dit que Walker Evans savait exactement se situer, quel recul prendre, il avait une sorte de sagesse innée de la rue. Je me suis dit "OK, je vais me placer un peu plus loin que Walker Evans". C’est comme ça que j’ai tué le père.
Et la deuxième raison - c'est, à mon avis, ma contribution à la vision du médium photographique -, c'est que j'ai cherché à prouver qu'avec une chambre 20 × 25 on pouvait photographier l'action. Il y avait cette idée reçue qu'on ne pouvait photographier le mouvement. Un appareil grand format a en général moins de profondeur de champ qu'un petit appareil, mais si vous êtes un peu en surplomb, vous pouvez obtenir des profondeurs de champ très nettes. Parfois, je montais sur le toit d'un immeuble, parfois sur le toit d'une voiture, parfois sur une colline… J'avais installé une plateforme au-dessus de mon combi Volkswagen, tout comme Ansel Adams, mais lui l'a utilisée pour photographier des montagnes, et non pas avec des piscines et des gens qui bougent. Et vous savez ce que je faisais pour que l'on ne me remarque pas? Je portais une veste rouge. J'avais l'air d'un surveillant et personne ne posait de questions. On m'a même laissé monter sur un toit pour photographier la navette spatiale Columbia à la base aérienne Kelly Lackland de San Antonio, au Texas. Avec ma lettre de recommandation du Guggenheim, j'ai demandé à un militaire de monter sur le toit, il est allé demander au sergent, le sergent a demandé au capitaine, le capitaine au colonel, le colonel au général. Ce dernier a crié très fort : "Faites monter cet individu sur le toit !" Ce livre raconte également combien les Américains étaient sympathiques, il y a quarante ans…
Corrompre la photographie
En 2003, je suis allé aux éditions Steidl, on a agrandi le format du livre pour voir tous les détails des photographies. Pour la couverture, nous avons choisi le parc aquatique d'Orlando, en Floride (1980). Thomas Struth m'a un jour confié qu'il était venu avec Andreas Gursky voir mes photos dans une exposition à Cologne - les deux se sont dit "ça y est, c'est tout à fait cela qu'il faut faire !" On m'a aussi rapporté que Joel Meyerowitz était venu plusieurs fois voir la photo à l'époque… Tous les photographes s'interrogeaient sur cette technique, c'était une vraie innovation de se placer en surélévation.
Dans les dernières versions du livre, on a ajouté la photo du concours de bikini au bord d’une piscine à Fort Lauderdale, en Floride (1983) : je trouvais que c’était drôle de mettre cette image à côté du texte d’introduction dont le titre était "Corrompre la photographie". Imaginez que pour prendre cette photo, je suis juché sur un escalier en métal qui n’arrête pas de bouger…
J'ai vu des gens heureux
Le plus important pour moi, c'était de montrer la complexité de l'Amérique. Au moins, à cette époque, les gens étaient sympa. Beaucoup m'ont aidé. L'autre grande figure que j'avais face à moi, c'était Robert Frank. J'adorais le livre les Américains, j'en gardais un exemplaire sur ma table de chevet, et je me couchais en le regardant. Au matin, comme un fumeur qui cherche son paquet de cigarettes en tâtonnant, je prenais les Américains pour le feuilleter encore. Frank a vu l'Amérique avec une grande justesse : il a vu le racisme, la solitude, la séparation des classes sociales, la vie dure des plus pauvres, mais je pense que sa critique était un peu unilatérale. A travers mes voyages, j'ai observé qu'il y avait aussi des gens heureux malgré des conditions de vie modestes. Je voulais travailler avec une perspective un peu différente.
Prospecter comme quand on cherche de l'or
American Prospects représente trois ans de voyages à travers l'Amérique. J'ai choisi ce titre car le mot "prospect" a plusieurs sens en anglais : c'est d'abord une "vue". En Nouvelle-Angleterre, quand on construisait une nouvelle ferme, on s'arrangeait pour que la femme du fermier ait une belle vue depuis la cuisine (sympathique pour les dames, n'est-ce pas ?). "Prospect" veut aussi dire "vue en hauteur, perspective", ce qui allait très bien avec ma méthode de travail. Mais cela signifie aussi recherche, espoir, futur, comme quand on cherche de l'or, on espère trouver quelque chose… Quand j'ai commencé en 1978, il y avait eu la guerre du Vietnam, la démission de Nixon, la récession en 1976, les otages en Iran à partir de 1979, ce n'était pas un moment si heureux. Puis Reagan est devenu président. On a senti à ce moment-là les premiers signes d'un sentiment d'apocalypse aux Etats-Unis. Parallèlement, les premiers effets du changement climatique ont été diagnostiqués par le scientifique James Hansen qui a parlé de "réchauffement climatique" devant le Congrès en 1988. Il y avait déjà eu des articles à ce propos depuis les années 60. Quand j'ai su que Reagan serait président, je me suis mis à photographier des trucs militaires. Car Reagan était très porté sur le sujet.
Changer mon livre jusqu'à mon lit de mort
A l'époque, les films coûtaient cher, les développements aussi. Je devais vraiment faire des économies. En fait, un peu comme un cinéaste, j'ai fait le storyboard de l'Amérique. Je savais que je voulais montrer les industries du Nord-Est en déclin. Quand j'ai eu assez d'industries en déclin, j'ai photographié Houston en train de se construire, je voulais aussi montrer l'Ouest en train de changer. J'avais des notes sur chaque prise de vue sur mes agendas, comme pour un scénario. Au fur et à mesure du voyage, j'envoyais les photos à New York pour les faire développer et je faisais juste faire les tirages de celles qui me paraissaient bien. Mais aujourd'hui, quarante ans après, j'ai retrouvé tous ces négatifs dans mon studio du Vermont dont je n'avais même pas fait de planche-contact. A mon sens, il y a encore des photos à découvrir [il montre sur son téléphone un Mister California torse nu de toute beauté, ndlr]. Le poète Walt Whitman a bien fait neuf éditions de Feuilles d'herbe jusqu'à ce qu'il publie l'édition dite de son "lit de mort" [Leaves of Grass : the Complete Deathbed Edition]. Je vais m'inspirer de lui et me dire que je suis libre de changer mon livre jusqu'à mon lit de mort !
L'aventure au coin de la rue
J'ai toujours eu une relation viscérale à la nature, à tous les changements de saison, à toutes les variations de lumière, un peu comme certains croyants sont transportés par leur foi, par leur enthousiasme. J'ai lu tous les écrivains de la nature. Grâce à Henry David Thoreau, j'ai enfin découvert - et cela a été un soulagement - qu'il existait un mot pour ce sentiment que j'éprouvais depuis l'âge de 9 ans : le transcendantalisme. Je ne pouvais pas en parler aux autres. J'ai grandi à un pâté de maisons de la plage et j'avais un piège à oiseaux dans l'arrière-cour. Je les capturais, les prenais dans mes mains, puis les relâchais, et j'imaginais qu'ils venaient du Vermont. Je regardais les magazines de chasse pour leurs photos de nature et on m'a livré un renard empaillé que ces magazines offraient pour 15 dollars. Avec mes frères, on se levait tôt, à 6 heures du matin, sans le dire à nos parents, pour aller marcher dans la nature quand on était en vacances. Ma mère avait l'habitude de dire : "Il suffit à Joel de traverser la rue pour avoir une aventure." Elle avait raison. C'est fou, l'intuition maternelle : c'est devenu l'histoire de ma vie.
Américanologiste
Chaque génération regarde la précédente et la trouve dépassée. Moi aussi à l'époque, je trouvais Walker Evans vieux. Bien sûr que ce travail photographique a vieilli si on le regarde à la lumière des décennies. Mais si on le considère à l'échelle des siècles ? J'ai travaillé dur pour intégrer tout ce que je savais sur l'Amérique dans American Prospects. C'était un moment très spécial de ma vie. J'étais si jeune… Je pense que l'excitation du jeune artiste se voit dans les images. L'histoire de l'Amérique et celle de la photographie sont très imbriquées depuis le début : elles ont grandi ensemble. Aujourd'hui, toute la culture visuelle est marquée par une pensée postcoloniale : un Africain doit porter son regard sur l'Afrique, un Européen sur l'Europe, un Américain sur l'Amérique. Moi, je suis un "américanologiste" et je suis bien heureux d'avoir été un "américanologiste" de la première heure, au moment où mon pays avait encore le vent en poupe.
(English Translation)
Large formats at Paris Photo, never-before-seen works at the Xippas Gallery, expanded edition by Steidl: The American Prospects series fascinates with its colorful panorama of the United States in the 1970s and 1980s. For Libération, photographer Joel Sternfeld recalls the genesis of a long-term project, characterized by its elevated perspectives.
In 1987, American Prospects was published for the first time—a sumptuous book by American photographer Joel Sternfeld. Reprinted several times since, this monumental work ushered in a new vision of America, blending mysterious portraits and captivating landscapes where tiny, Lilliputian figures appear in vast panoramas. At the crossroads of the ’70s and ’80s, the enthusiastic Sternfeld painted a picture of a modern nation—suburban sprawl, the space race, and car culture—where man’s relationship with nature is beginning to unravel. Using a large-format camera (an 8x10 view camera), he captured beached whales, landslides after flash floods, and an exhausted elephant in the middle of a road—a kind of disruption that verges on the surreal.
His most famous photo—a field of pumpkins in front of a burning house—sums up his subtle approach, full of melancholy and humor. Inspired by the American literary tradition of vast open spaces, Sternfeld developed a style that bridges reality and fiction, the absurd and the tragic, paving the way for photographers like Gregory Crewdson. As Steidl prepares to publish a new edition of American Prospects, and as several prints will be shown at Paris Photo in the Prismesector (dedicated to large formats), the Xippas Gallery is presenting a selection of previously unseen photos from this early body of work. During his visit to Paris for the opening of the American Prospects Now exhibition, Joel Sternfeld spoke with Libération about the mindset he was in back then, and what made his vision so unique. Now 75, still charming, the photographer won’t reveal the secret of his legendary curly hair, but as a continuing teacher at Sarah Lawrence College in New York, he shares his story with the confidence of a seasoned professor.
"I Hated Photography"
As a young man, I started out painting. Then I met a very beautiful woman—who would become a great poet—and she said to me: “Why don’t you try using a camera?” But I hated photography! I thought all photographers were idiots: there were so many beautiful things to see in the world, and these guys just played with their lenses… I wanted to be pure, to convey emotion. And yet, I eventually became one of those idiots with a camera.
I had to choose between black and white or color film. So I photographed the same scene both ways, just to see the difference. And I chose color—because I wanted to capture the seasons. No one was using color film at the time; it was considered risky, even suicidal, only suitable for commercial photographers. Helen Levitt’s gallery owner even asked me: “Why are you using color? Black and white is so natural!” But I had no choice. I absolutely had to work in color.
At the start, I practiced to see how colors interacted. I was deeply influenced by Josef Albers and Paul Klee. Everyone—especially painters—had read The Interaction of Color by Albers. That’s how I started taking photos, informed by those ideas.
"The Loss of My Two Brothers"
In the winter of 1975, I was diagnosed with a benign spinal tumor and needed surgery. If it failed, I could be paralyzed. I asked my doctor to give me one last beautiful summer before the operation. Then I learned my brother had died in a car accident. At 30, I had already lost two brothers.
I went out to photograph on the beach, crying. It was a very sad time. Nothing terrifies me more than massive buildings along beaches, and I took a photo of Rockaway Beach in Queens then. After the surgery, I applied for the Guggenheim Fellowship. Helen Levitt helped me. I asked myself: Which photo mattered most to me? And it was that pastel-toned beach photo taken during that painful moment. Soft colors with equal density, like a Klee painting, and no primary colors—that became my working palette and visual guide for American Prospects.
"The Work of a Young Man One No Longer Is"
When you get old, it’s like looking back at someone else’s work—the work of a young man you no longer are. It’s not just ego talking.
The first edition of American Prospects was published in 1987, smaller than it is now, alongside a major show at the Museum of Fine Arts, Houston. I had been exhibiting these photos since the early ’80s—starting with a 1984 show at the MoMA when it reopened with a new extension. Susan Kismaric, curator of photography, had put together “Three Americans” with Robert Adams, Jim Goldberg, and me. Each of us went on to have strong careers. I barely spoke to Jim Goldberg at the opening. Strangely, now he’s one of my best friends. It’s like fate—the way that MoMA show brought us together.
It took three years to make the book. Aperture, the top publisher back then, turned it down after a year of consideration. In the end, Times Books published it with the MFA Houston. The cover was different—we chose the now-famous pumpkin photo. People often come to my talks just to hear about that picture.
"A Brueghel Painting in My Mind"
I handed out hundreds of copies of the first edition of American Prospects—to mailmen, students who did good work… Today I’m more careful with my books because I have a 10-year-old son. My father was an artist with four sons and had to support the family. He kept nothing of his own work. A graphic designer, he made film posters for Fox and later started his own studio. He did posters for all the epic films of the ’50s and ’60s—The Robe, Ben-Hur, Spartacus—but saw it as commercial work, even though he loved fine art.
In our basement playroom, we had a reproduction of a Brueghel painting. I grew up with Hunters in the Snow imprinted on my mind. When I started American Prospects, I thought constantly of that painting, with figures looking from the top of a hill. That gave me vision. Before even hitting the road, I knew I wanted an elevated view, a sense of looking down.
"Killing the Father: Walker Evans"
I wanted elevation for two reasons. First, because as an artist, your job is to kill the father. And for me, that father was Walker Evans. I had been told Evans always knew exactly where to position himself—he had a natural street wisdom. So I said: Okay, I’ll go further back than Evans. That’s how I killed the father.
The second reason—which I think is my contribution to the medium—is that I wanted to prove you could photograph action with an 8x10 camera. People said you couldn’t capture movement. Large-format cameras usually have shallow depth of field, but from above, you can get incredible sharpness. Sometimes I climbed rooftops, cars, or hills. I even built a platform on top of my VW van—like Ansel Adams did. But Adams used his for mountains, not for swimming pools and people in motion.
You know what I did so people wouldn’t notice me? I wore a red jacket. I looked like a security guard—no one asked questions. I even got up on a roof to photograph the Space Shuttle Columbia at Kelly Lackland Air Force Base in Texas. I had a Guggenheim recommendation letter, asked a soldier if I could climb up, and the request went up the chain—from sergeant to general. The general shouted: “Get that man on the roof!” This book also tells the story of how kind Americans were, forty years ago…
"Corrupting Photography"
In 2003, I went to Steidl. We enlarged the book format to show all the photo details. For the cover, we chose the Orlando water park image (1980). Thomas Struth once told me he and Andreas Gursky saw my photos in a Cologne show and said: “This is it! This is exactly what we should be doing!” I also heard that Joel Meyerowitz came back multiple times to see one of the photos.
In later editions, we added the bikini contest photo taken by a pool in Fort Lauderdale (1983). I found it funny to put it next to the introduction titled “Corrupting Photography.” Imagine: to take that photo, I was balanced on a shaking metal staircase…
"I Saw Happy People"
What mattered most to me was showing America’s complexity. At least back then, people were kind. Many helped me. Another major figure I had in mind was Robert Frank. I loved The Americans. I kept a copy by my bed and flipped through it every morning like a smoker reaching for cigarettes. Frank saw America with sharp clarity—racism, loneliness, class divides, the hard lives of the poor. But I thought his critique was a bit one-sided.
On my travels, I saw that some people were happy, even with modest means. I wanted to offer a slightly different perspective.
"Prospecting Like Gold Hunters"
American Prospects represents three years of traveling across America. I chose the title because prospect has many meanings: a view, a high perspective (which matched my working method), and also “hope” or “search,” like gold prospecting. When I started in 1978, the U.S. was still reeling from Vietnam, Nixon’s resignation, the 1976 recession, and the Iran hostage crisis. Then Reagan was elected. That’s when apocalyptic sentiments began to stir. Around the same time, scientist James Hansen warned Congress about global warming in 1988.
When Reagan became president, I began photographing military-related scenes—he was obsessed with them.
"Changing My Book Until My Deathbed"
Back then, film and development were expensive. I had to save. Like a filmmaker, I storyboarded America. I knew I wanted to show the declining industries of the Northeast. Once I had that, I photographed Houston under construction and the changing West. I had notes for every shot, like a screenplay.
Over time, I sent my film back to New York for development and only printed the ones that felt right. But 40 years later, I found all the untouched negatives in my Vermont studio—some without even contact sheets. I believe there are still photos to discover. [He shows a striking photo of “Mister California” on his phone.]
Walt Whitman published nine editions of Leaves of Grass, including a “deathbed edition.” I plan to do the same—revise American Prospects until my last breath.
"Adventure Around the Corner"
I’ve always had a visceral connection to nature—the changing seasons, the shifting light—like how some believers are moved by faith. I’ve read all the great nature writers. Thanks to Henry David Thoreau, I discovered there was a word for the feeling I’d had since I was 9: transcendentalism. It was a relief. I couldn’t talk about it with anyone.
I grew up one block from the beach, caught birds in the backyard, held them in my hands, then let them go, imagining they came from Vermont. I loved nature photos in hunting magazines and once received a taxidermy fox for $15. My brothers and I would wake up at 6 AM, sneak out on vacation to walk in nature.
My mother used to say: “Joel just needs to cross the street to find an adventure.” She was right. Motherly intuition—it became the story of my life.
"Americanologist"
Every generation looks at the previous one as outdated. I too saw Walker Evans as old at the time. Yes, the work has aged—decades have passed. But what if we think in centuries?
I worked hard to put everything I knew about America into American Prospects. It was a special time in my life—I was so young… I think the energy of a young artist is visible in the images.
The history of America and photography have always been intertwined. Today, visual culture is shaped by postcolonial thinking—Africans photograph Africa, Europeans Europe, Americans America. I consider myself an Americanologist, and I’m happy to have been one from the very beginning—back when my country still had the wind at its back.